Les medias ont ils tué la politique ?

Publié le par Philippe Gammaire

Guillaume Durand, il faut bien le reconnaître, a l'art et la manière de mettre les pieds dans le plat.

D'abord et avant tout, sous ses faux airs de dilettante c'est un des rares journalistes de télévision à avoir compris combien la littérature, le cinéma, la musique ou la peinture contemporaine constituent de fabuleux miroirs pour la compréhension de notre société.

C'est tout sauf emmerdant lorsqu'il anime son émission "Esprits libres", chaque vendredi sur France 2. Précisément, il fait toujours le lien avec l'actualité lorsqu'il interroge les artistes. Parce qu'il a compris depuis longtemps qu'un peintre ou un musicien sont de formidables capteurs de l'air du temps, et des futurs qui s'annoncent. Sortes de pithyes des temps modernes, pour ceux qui savent les écouter.

MISE EN ABYME

Mais cette semaine c'est à une mise en abime abyme à laquelle il a convié le téléspectateur. Sous la forme d'un débat passionnant : "Les medias ont-ils tué la politique ?" Un thème difficile pour le média télé, au coeur du problème en l'occurrence, et dont les ressorts (qui jouent sur l'émotion, l'instantané, l'affectif, la "petite phrase") ne permettent guère en général d'approfondir et de développer une pensée.

Il fallait du brio, et les idées claires, pour faire vivre ce sujet, avec un plateau composé de Michel Rocard, Jean-Michel Apathie, Philippe teysson, Jacques Julliard (Nouvel Obs), Michel Drucker, Laurent Gerra et quelques autre fortes personnalités dont - tiens - thierry Saussez, le conseiller en communication de Nicolas Sarkozy.

Les thèmes abordés donnent le ton.

"Politique et transparence" : Est-il raisonnable ou totalement délirant de filmer un conseil des ministres ? Allusion de Guillaume Durand à la proposition faite récemment par Ségolène Royal et approuvée par Dominique de Villepin. Pour la journaliste Ghislaine Ottenheimer, cette proposition est un leurre : "La France est l'une des démocraties où il y a le moins de transparence dans les administrations, où il est le plus difficile d'avoir accès à une information. c'est là qu'il faut agir, pas avec ce gadget".

J'ai déjà évoqué cette culture du secret bien française. Qui peut croire une seconde que si le conseil des ministres était filmé on y verrait le président et l'équipe gouvernementale deviser de secrets d'Etat ou faire autre chose que de la politique-spectacle, à l'attention des caméras...

"Folie absolue, les vraies décisions se prendraient ailleurs", prédit Michel Rocard qui en connaît un rayon. L'ancien premier ministre trouve la campagne électorale actuelle "surréaliste".

"LE PILONNAGE MEDIATIQUE REND FOU"

Rocard est partisan de dire que "le pilonnage médiatique rend fou (les politiques)". Tandis que selon J.-M. Apathie, ce ne sont pas les medias mais les politiques qui tuent la politique : leur culture du mensonge, les promesses non tenues (il prend deux exemples marquants, 1981 : changer la vie et 1995 : réduire la fracture sociale).

C'est simple, depuis 1981, le nombre d'abstentionnistes n'a cessé d'augmenter (en millions de personnes) et la présidentielle est l'élection où les français s'abstiennent le plus. Plutôt que "la faute aux médias", Ghislaine Ottenheimer voit un vrai problème de médiocrité de la classe politique.

Le duo Sarkozy - Royal. Pour le chroniqueur du Nouvel Obs', Jacques Julliard, ce ne sont pas les medias qui ont fabriqué les deux candidats. "Ils apparaissent différents du système et parlent avec les gens". Un vrai conte de fées...

Sauf que Thierry Saussez explique bien la stratégie médiatique de Nicolas Sarkozy, dont il est le mentor communicant. Notez bien l'habile réthorique : Sarkozy, manipulateur des medias ? Pas du tout répond le conseiller en com, "il a compris qu'en alimlentant les medias on n'est plus à la traîne".

Plutôt que de courir après l'actualité, il s'agit donc de la créer. Une phrase assassine par ici, un vieux concept remis au goût du jour, des caméras au bon endroit par là, du soi-disant parler-vrai alimenté par des sondages... Pour Saussez, Ségolène - on s'en serait douté - n'est qu'une pâle copie de l'original.

Politique et vie privée. Dès 1983, des journalistes savaient pour Mazarine et la double vie de François Mitterrand. En 1988, Jean-Michel Apathie l'apprend aussi, il ne dira rien. Pourquoi ? Il n'en avait pas perçu l'importance, assure le journaliste politique...

Pourtant des fonds publics étaient engagés pour protéger cette double vie. Et de ce point de vue, il aurait fallu en parler. "C'est la responsabilité des journalistes d'en dire le plus possible", conclut-il a posteriori. Pas un mot, lors du débat, sur l'affaire révélée cette année par le Canard Enchaîné concernant un hypothétique fils caché de Chirac, au Japon...

LA CAMPAGNE SE GAGNERA SUR LE NET

La politique et internet. Dès le début, le constat est fait : la télévision reste le media dominant, mais il n'est plus hégémonique.

Pour Saussez, clairement, la campagne électorale se gagnera ou se perdra sur internet. Dans sa bouche, il semble que le public des internautes est moins malléable, moins perméable à la commmunication politique traditionnelle.

"C'est un vrai phénomène, ce sera un outil de communication majeur pour les campagnes électorales", prévoit un des débateurs qui occupe des fonctions politiques (son nom m'échappe).

Communication, encore. Faut-il en vouloir aux politiques de vouloir faire passer leurs messages ? Certainement pas, mais nombre d'entre eux n'ont sans doute pas encore pris toute la dimension de l'actuel phénomène citoyen, de la demande de vérité, des discussions sans fin sur le Net.

Jacques Julliard remet les pendules à l'heure sur ce point. Il perçoit bien, semble-t-il, la situation : "En France, tout le monde veut devenir journaliste, c'est absurde et contradictoire, mais il faut comprendre le sens du phénomène. C'est une remise en cause de la division du travail entre émetteurs et recepteurs d'informations, ça va très loin". Pas très explicite pour les néophytes le père Julliard.

Il ne fait que décrire un phénomène évident - une révolution en cours - pour tous les internautes. L'info ne circule plus seulement du haut (les medias dominants) vers le bas. Mais également horizontalement, d'un blog à l'autre, d'individu à individu, dans un gigantesque bouche-à-oreille mondial. Bref, les medias traditionnels n'ont plus le monopole.

Fin du débat. Guillaume Durand change de table et accueille Philippe Sollers. Et sur un tout autre sujet, l'écrivain a ces mots qui résonnent : "Il faut que tout change, pour que tout reste pareil...". On ne peut alors s'empêcher de penser à la "rupture" pronée par Sarkozy ou encore aux "jurys citoyens" de Ségolène. Deux approches du changement en politique, à première vue. Mais une fois au pouvoir - l'une comme l'autre - oseront-ils vraiment changer les règles du jeu ? Tout changer pour que rien  ne change... Le nouvel ordre juste ?

A lire également sur le Monde Citoyen :

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Désolé, je n'ai pas la réponse. Mais allez voir le site de France 2...
Répondre
M
bonsoir<br /> Ce n'est qu'une demande : le titre et l'auteur de l'ouvrage présenté en fin d'emission par G DURAND en meme temps que celui de J JUILLARD <br /> merci
Répondre
C
juste un exemple:ce matin,8H30,France Info et l'invité:le Ministre de l'E.N,;les quelques minutes que j'ai entendues étaient presque inaudibles,le journaliste coupant la parole à maintes reprises au Ministre"et l'attitude de Mr Sarkozy,vous en pensez quoi?",et le Ministre répondant que ce n'était pas son propos...et re-belote...genre chien à la jambe,j'ai donc zappé vers autre chose de +musical,car la "musicalité"de cet échange échappait à mes neuronesencore en pyjama,'le bleu,c'est après le pt'it café..à ce propos?<br /> C'est quand meme un peu trop souvent le schéma du "politique au-dessus de ces bassesses" et du "journaliste_roquet",ça apporte quoi au débat?<br />  
Répondre
F
Phil : je viens de lire (en diagonale quand même) le pseudo débat entre Demian et Carlo. On y fait référence à quelqu'un qui aurait interviewé de Génie et qui le regrette aujourd'hui !Alors tu regrettes ? :-)Pour une fois, j'ai laissé un commentaire EN Agora.:-))
Répondre
P
"Mes neurones en bleu de travail"... rahhhlala, mais où va-t-il chercher tout çà ??? ;-))) Trop fort !
Répondre