La culture du secret en France : parlons-en !

Publié le par Philippe Gammaire

Violations quotidiennes du secret de l'instruction, accès impossible au moindre document administratif, secret défense ! Tiens, et si l'on profitait de l'affaire Clearstream pour parler vraiment de cette culture du secret, tellement française.

ABUS DE POUVOIR

Si en Suède n'importe quel citoyen peut demander, de manière anonyme et sans justification, à voir la feuille de paye et les notes de frais d'un ministre (et a fortiori de n'importe quel élu), il n'en va pas de même en France. A l'occasion de la projection du documentaire "Abus de pouvoir" (un extrait ici) réalisé par Virginie Roels, les deux rédacteurs-en-chef du magazine 90 minutes (Canal +), Paul Moreira et Luc Hermann, donnent une intéressante interview à Fluctuat.net. Extrait : "En France, tu es obligé de copiner pendant des mois, de rincer, payer les restos et au bout du compte de te faire manipuler parce qu’on te donne ce qu’on veut te donner. Aux Etats-Unis - ou en Suède d’ailleurs -, le secret n’est invoqué que si la sécurité nationale risque d’être mise en cause. Et si on te refuse l’accès à un document, il est possible de saisir un juge spécifique qui décidera si la sécurité nationale - ou un brevet industriel - est menacée par sa communication". Paul Moreira et Luc Hermann ont lancé la campagne de pétition "Liberté d'informer" il y a trois ans.

TRANSPARENCE = CONTRE-POUVOIR

La seule transparence des documents administratifs constitue un réel contre-pouvoir démocratique, mis à disposition non seulement des journalistes ou des historiens mais aussi des simples citoyens. Cette transparence est totale en Suède et aux Etats-Unis. En mars dernier par exemple, Associated Press a obtenu d'un tribunal que le gouvernement publie les minutes des audiences des détenus de Guantanamo, qui passent devant le tribunal militaire de la base (Corine Lesnes évoque ces "dialogues de Guantanamo").

Lorsqu'un élu sait que ses notes de frais sont publiques, c'est objectivement un moyen de lui mettre la pression pour empêcher tout dérapage (tiens, ça rappelle une histoire de "frais de bouche" à la mairie de Paris...). En France, certes, une loi de 1978 organise l'accès aux documents administratifs. Elle reste cependant restrictive et difficilement applicable (au prix de nombreuses années qui s'achèvent le plus souvent au tribunal, pour les affaires sensibles).

Lors de son audition devant la commission parlementaire chargée d'enquêter sur Outreau, Dominique Baudis a évoqué, de son côté, la question du secret de l'instruction. Secret de polichinelle en vérité, trahi chaque jour. Sa proposition : soit la transparence totale, soit l'interdiction totale (avec pénalisation forte des infractions) d'accès aux dossiers d'instruction.

DERAPAGES

L'opacité profonde de l'administration, la culture du secret en France favorise bien des dérapages et des abus, pudiquement recouverts parfois par l'appellation "secret défense" (lire l'édifiante histoire de l'assassinat du juge Borrel ou encore celle de Philippe Grand et Brigitte Lainé. On pourraît aussi parler des commissions occultes dans l'affaire des frégates de Taïwan).

Dans ce contexte, il est impératif pour les journalistes de pouvoir protéger leurs sources.Et l'organiser au plan légal. Faut-il argumenter : la protection de la vie professionnelle, sociale voire physique des informateurs est en jeu. Aux Etats-Unis, Deep Throat (gorge profonde) l'informateur de Bob Woodward et Carl Bernstein dans l'affaire du Watergate, n'a révélé son identité que l'an dernier. Plus de trente ans après les faits.

Publié dans LIBERTE D'EXPRESSION

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P
Oui, complètement vrai. D'ailleurs si la transparence existait en France, les journalistes pourraient clairement présenter leurs preuves et chacun pourrait vérifier. Comme ce n'est pas le cas, on protège les sources, et derrière il y a toujours un doute... Ensuite on parle de manipulation, on discrédite les medias (ou les journalistes) et "on" sème la confusion dans l'esprit de la population.
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J
C'est tout à fait passionnant ! Il est clair que le manque de transparence pousse aussi le journaliste à user parfois de moyens contestables pour obtenir une information. Des démarches qui conduisent aussi à rendre la presse impopulaire et lui confèrent une image peu scrupuleuse.
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