Darfour : comment intervenir ?

Publié le par Philippe Gammaire

A première vue, il n'est guère "politiquement correct" de s'interroger sur le bien-fondé d'une intervention de la communauté internationale au Darfour : la situation dans cette région du Soudan est dramatique et qualifiée par Kofi Annan d' "enfer sur terre".
300.000 morts depuis trois ans, près de trois millions de réfugiés et déplacés.
Les exactions des milices Janjawids - alliées au gouvernement du Soudan -  qui sévissent au Darfour sont qualifiées de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité par l'ONU.
Depuis 2003, les tribus africaines noires du Darfour s'opposent aux tribus arabisées (les Janjawids) et s'entredéchirent dans une guerre civile, entre musulmans.
L'enjeu : la redistribution des richesses du sous-sol de cette région (eau et pétrole).

Le régime de Karthoum, incapable de résoudre le problème, instrumentalise les Janjawids pour mater la rébellion des tribus noires.
Une dimension ethnique et raciste domine le conflit, depuis que le gouvernement de Karthoum a théorisé le concept d'infériorité des populations noires, par rapport aux arabes. Le terme de "nègre" a été remis en circulation.

De quoi susciter, bien sûr, l'indignation et la colère.

Dans ce contexte l'association Sauver le Darfour, présidée par Mahor Chiche, milite en France pour faire reconnaître le caractère génocidaire des crimes commis au Darfour. L'association réclame également le déploiement d'une
force internationale de protection des civils du Darfour en passant outre le consentement du régime « a-démocratique » de Khartoum.
Dans un manifeste paru dans Le Figaro du 22/12, elle va même plus loin :
"
Pour arrêter l'épuration ethnique au Darfour, il n'y a plus d'autre voie que d'écarter le régime islamiste soudanais du pouvoir."
Pour SLD, " Seule cette intervention permettra de prévenir ou de réagir, contre les
attaques sur les populations civiles du Darfour et de protéger les travailleurs
humanitaires afin qu'ils remplissent leurs missions en toute sécurité".

Il faut préciser qu'une "force internationale", ce n'est ni l'ONU, ni l'Organisation de l'Union africaine... mais un contingent militaire issu d'une coalition telle que celle déployée en Irak.

VOIX DISCORDANTES

Reste que des voix discordantes se font entendre sur les méthodes à employer pour faire cesser la guerre civile au Darfour.

Pour l'anthropologue Michel Agier, la mobilisation de SLD,
"sous l'apparence consensuelle et humaniste des discours humanitaire et démocratique, vise à formater l'opinion publique en faveur d'une intervention policière "sans frontières (...)".
Selon lui, "il y a là un air de déjà vu qui fait penser à l'instauration d'une nouvelle modalité de guerre, dans la logique de la police mondiale que les interventions en Afghanistan (avec l'Onu) et en Irak (sans l'Onu mais avec une "coalition énergique" autour des Etats-unis)  ont inauguré. On sait quels chaos cela a produit... Veut-on recommencer ?"

De même, Rony Braumann, ancien président de Médecins sans frontières, s'interroge dans le magazine "Alternatives internationales" : "Que faire pour sauver le Darfour ?"

D'abord son constat : "Personne ne peut imaginer sérieusement qu'un contingent de l'ONU puisse imposer par la force sa présence au Darfour. Les Casques bleus se trouveraient immédiatement en butte aux attaques et aux provocations de nombreux groupes armés (...), le remède serait rapidement pire que le mal".

"l'ère des missions pacificatrices-civilisatrices est révolue, les expériences de ces dernières années en Somalie, en Afghanistan et en Irak ont clairement démontré l'impuissance de la force dans de telles situations", souligne-t-il.

La conclusion de Braumann est sans appel : "Les manifestes interventionnistes publiés ces dernières semaines versent dans un maximalisme déconcertant, l’indignation tenant souvent lieu d’analyse et l’ignorance de détermination" (...).
Entre le tout-militaire et la contemplation passive du désastre, un espace d’action existe. A condition de garder à l’esprit que personne ne pourra se substituer aux intéressés pour établir les conditions d’un compromis acceptable permettant l’arrêt des violences".



Publié dans BUZZ SUR LE WEB

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P
Merci M. Mahor Chiche, pour votre réponse et l'éclairage que vous apportez à ce débat. Une question, à mon tour : que pensez-vous du constat que dresse Rony Braumann des interventions récentes en Somalie, En Afghanistan, en Irak ?Je rappelle juste son point de vue : "l'ère des missions pacificatrices-civilisatrices est révolue, les expériences de ces dernières années (...) ont clairement démontré l'impuissance de la force dans de telles situations"
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C
La réponse de Sauver Le Darfour, SLD Cher Michel Agier, Je découvre votre réaction à l’article paru dans le Figaro « il est encore temps de sauver les populations du Darfour », je tiens à mon tour à vous proposer quelques pistes de réflexions. L’association Sauver Le Darfour, SLD réunit des personnalités d’horizons très différents de droite et de gauche, elle rassemble des milliers de citoyens autour d’une idée : mobiliser pour le Darfour. Notre travail consiste à : informer, sensibiliser, et proposer des sorties de crises réalisables ; tout en refusant de se laisser enfermer par les pseudos principes intouchables tels que la souveraineté ou le politiquement correct français qui évitent de désigner les bourreaux. A l’époque de la Bosnie déjà : la France refusait de designer les victimes et les auteurs des crimes. - Sur la notion de génocide : nous publierons prochainement un article juridique le démontrant. SLD n’a jamais fait l’analogie avec la Shoah ou d’autres massacres, nul besoin de comparer pour condamner. Toutefois, il est notable qu’il existe un élément identique c’est l’indifférence à l’égard de la barbarie à l’œuvre. Les Etats Unis considèrent qu’il s’agit d’un génocide, SLD aussi ; mais l’intervention se justifie de toute façon au regard du droit international humanitaire et du principe de responsabilité de protéger. - Sur John Garang : Le propos de SLD consistait à utiliser son accueil triomphal dans la capitale pour démontrer la fragilité du régime de Khartoum et que la population soudanaise refuse la division ethnique et aspire à réaliser son dessein soit : un Soudan, laïc, démocratique, et égalitaire ! - Sur l’ONU et l’UA : L’association Sauver Le Darfour, SLD estime comme Kofi Annan que l’ONU est immobilisée par les veto de la Chine et de la Russie, et que l’Union africaine, demeure cantonnée au rôle de simple observateur. Ils n’ont donc pas été en mesure d’empêcher le nettoyage ethnique au Darfour. Alors la communauté internationale doit rester passive ? négocier ? Depuis 3 ans c’est exactement ce qui est fait ! 6 résolutions ont été votées et rien n’a changé pour les Darfouris. Aujourd’hui, plusieurs pistes peuvent être envisagées : comme par exemple faire respecter la résolution onusienne prévoyant l’interdiction de survol du Darfour ou geler les comptes financiers des responsables des massacres ! Le déploiement d’une force internationale existe déjà l’Union africaine est présente mais inefficace, il convient donc de la remplacer par une force crédible et efficace. Et si l’ONU refuse d’y aller, un Etat peut prendre l’initiative pour protéger les populations civiles du Darfour. - Concernant la Démocratie : Pour SLD un régime qui est issu d’un coup d’Etat n’est pas légitime et encore moins lorsqu’il est incapable de protéger sa propre population. Et la parole du gouvernement actuel n’est pas crédible puisque les signataires des accords de paix d’Abuja ou ceux du Sud n’ont dans les faits rien obtenu. Par ailleurs, idéologiquement, SLD considère que l’Afrique a le droit à la Démocratie, et que son développement favoriserait la prospérité et la paix régionale ! Je vous donne acte que notre mobilisation se veut utile et donc non politiquement correcte ; mais sachez que nous n’appartenons pas à la droite mondiale ! Nous appartenons au courant de pensée interventionniste qui estime que la souveraineté doit s’effacer devant le droit d’ingérence. Bien entendu qu’il faudrait reformer l’ONU, qu’il faudrait soutenir l’UA, qu’il faudrait plus de multilatéralisme, mais d’ici là : ceux qui ont le pouvoir (l’Egypte, le Canada, la France, l’Angleterre, l’Italie, l’UE, et les Etats Unis…) et qui peuvent intervenir doivent le faire pour éviter un Rwanda bis. Restons à votre disposition pour tout débat sur le sujet, Bonne année, Mahor Chiche Président de Sauver Le Darfour, SLD 06 16 01 73 40 contact@sauverledarfour.org
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C
sur France Inter,des journalistes évoquaient la quasi impossibilité de se rendre sur place et le caractere extremement dangereux de ces missions,d'ou l'absence quai-totale de médiatisation autour de ce sujet,<br /> il faisait le lien avec l'absence de mobilisation,faute de sensibilisation à la question..Faut-il parler,voir,etre témoin pour s'interesser,compatir comprendre,soutenir??
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P
Merci Celeste. Reçois tout mes voeux de santé et de bonheur pour toi et tes proches. Merci d'être aussi fidèle à ce blog, je suis comblé.J'en profite pour remercier également tous les habitués de ce mini-bar de la blogosphère : Cat, Fil, Eric, Philippe, Hervé, Olivier, et bien d'autres qui le lisent... mais n'en pensent pas moins.A très bientôt à tutti !Phil
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C
Phil, merci pour tes articles qui aident à comprendre, à réfléchir, à agir.Je sais bien que ce  n'est qu'une illusion et que le changement d'année de ne va pas apaiser le monde, mais j'en profite quand même pour te souhaiter une douce et belle nouvelle année, emplie de projets, de tendresse et de joieAUGURI per 2007bisous
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